Science for the People « Canada »: solidarité avec les étudiant·es internationaux·ales et les travailleur·euses migrant·es pour la Journée sans Migrant·es du 18 décembre

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Depuis la création de notre collectif en 2022, Science for the People « Canada » a été construit par des travailleur·euses scientifiques venant de différentes régions du monde. Nous sommes profondément touché·es par la nouvelle vague d’attaques contre les travailleur·es immigré·es et les étudiant·es internationaux·ales, incluant un gel total de deux programmes menant à la résidence permanente au Québec. Nous répondons à l’appel lancé par le CTI aux groupes communautaires à nous organiser et à riposter contre ces attaques.

Nous soutenons les revendications du CTI et reconnaissons les faits suivants :

1. De plus en plus, les étudiant·es internationaux·ales du Sud global sont principalement des « travailleur·euses migrant·es » et secondairement des « étudiant·es », les frais d’inscription exorbitants servant de coûts d’admission au pays, donnant aux migrant·es le privilège de vendre leur main-d’œuvre dans le Nord global. Ces dynamiques de migration sont souvent le résultat d’un système global impérialiste dont, au sein du Canada, la classe capitaliste est le bénéficiaire principal.

2. Les étudiant·es internationaux·ales, qui représentent 34,6 % des immigrant·es temporaires au Canada, servent à soutenir le secteur de l’éducation sous-financé du pays. En raison de réductions massives dans la proportion de financement public des institutions postsecondaires (47 % des coûts de fonctionnement des universités en 2018 contre 80 % en 1990), les universités dépendent de plus en plus des dons provenant des entreprises et des frais de scolarité exorbitants payés par les étudiant·es internationaux·ales, dont beaucoup cherchent à obtenir une résidence permanente. Alors que les frais de scolarité pour les étudiant·es domestiques sont restés à peu près constants, les frais pour les étudiant·es internationaux·ales ont augmenté de 97,7 % entre 2006/07 et 2023/24, une fois ajustés pour l’inflation.  En Ontario, les étudiant·es internationaux·ales financent davantage l’éducation postsecondaire que ne le fait le gouvernement.

3. Les étudiant·es internationaux·ales constituent une source croissante de travail invisible et informel sur leur campus, particulièrement dans les domaines à forte intensité de main-d’œuvre, dont les STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques). Les étudiant·es internationaux·ales représentent 50 % des doctorant·es en sciences à l’UQAM et 46 % des étudiant·es des cycles supérieurs en sciences à McGill.

4. Un système de rémunération basé sur des bourses fait en sorte que de nombreux·ses travailleur·euses des domaines STIM sont faussement classé·es comme des « étudiant·es » ou des « stagiaires » plutôt que comme des « travailleur·euses » — alors qu’en pratique, ces « stagiaires » remplissent les fonctions d’employé·es à temps plein et assurent la majorité du travail scientifique dans les universités et centres de recherche.

5. En plus d’empêcher les travailleur·euses scientifiques de se syndiquer ou même de se reconnaître comme des « travailleur·euses », le tour de passe-passe délibéré qui classe les étudiant·es des cycles supérieurs comme des « stagiaires » engendre une dépendance de leur statut migratoire sur leur statut d’étudiant·es « en règle » au sein de leurs établissements. Cela garantit un approvisionnement régulier de main-d’œuvre bon marché constituée de travailleurs·euses précaires peu enclins à contester des abusives conditions de travail.

6. Les étudiant·es internationaux·ales sont également une source importante et croissante de travail précaire hors campus. Pour les doctorant·es internationaux·ales en STIM qui ont la chance de recevoir une bourse de recherche, les bourses du FRQNT au Québec s’élèvent actuellement à un maigre 25 000 $/an, avec de nombreuses bourses annuelles fixées encore plus bas. Une proportion croissante d’étudiant·es internationaux·ales travaillant à temps plein en laboratoire ou sur le terrain sont donc obligé·es de prendre un deuxième emploi pour payer leur loyer : 56,7 % des étudiant·es internationaux·ales des cycles supérieurs et 36,3 % des étudiant·es internationaux·ales en premier cycle ont déclaré un revenu T4 en 2018*.

7. Depuis le 15 novembre 2024, les détenteur·ices de visas étudiants au Canada sont officiellement autorisés à travailler un maximum de 24 heures par semaine hors campus. Cependant, ces seuils sont souvent insuffisants face au coût de la vie, ce qui leur mène à travailler au noir, à faire des heures supplémentaires non officielles, et à accepter des contrats informels.

8. En plus de ces conditions abusives de travail, les étudiant·es internationaux·ales sont vulnérables au harcèlement et aux abus sexuels. Par exemple, 41,6 % des étudiant·es internationaux·ales des universités francophones du Québec ont subi au moins un incident de violence sexuelle sur leur campus. Le secteur académique est marqué par son haut niveau de harcèlement sexuel, surtout dans les domaines STIM.

9. Les étudiant·es internationaux·ales hésitent souvent à demander de l’aide, à participer à des manifestations ou à rejoindre un syndicat ou une organisation politique, craignant que des conflits avec l’administration universitaire ou la police n’affectent leur statut migratoire. Ces conditions de travail sont aggravées par les barrières linguistiques et par le fait que les patrons cultivent l’incertitude par rapport aux droits et aux protections légales en vigueur.**

10. Bien que les détenteur·ices de diplômes STIM bénéficient encore de privilèges importants par rapport à d’autres travailleur·euses, le nombre d’étudiant·es en cycles supérieures augmente rapidement tandis que l’offre d’emploi se raréfie, un signe que des changements majeurs par rapport à la nature et au but des cycles supérieurs sont survenus au cours des 30 dernières années. Alors qu’un diplôme supérieur en STIM représentait autrefois un signe de privilège de classe ou un mécanisme de « ascension sociale » vers un poste professionnel, beaucoup d’étudiant·es en cycles supérieures au Canada sont maintenant classé·es comme des travailleur·euses précaires et temporaires, qui doivent s’attendre à ce qu’iels aient à travailler de plus en plus longtemps de manière informelle comme « stagiaires » afin d’accéder au marché de l’emploi formel. Avec une dette moyenne de 41 100 $ CAD, les membres du nouveau « précariat académique » font face à des chances de plus en plus minces d’obtenir un emploi en lien avec leurs années de « formation spécialisée » ou de rester dans le pays.

Le 18 décembre, en tant que scientifiques et allié·es de la science, nous nous tenons solidaires de tou·s·tes les étudiant·es internationaux·ales, des travailleur·euses étranger·ères temporaires et des réfugié·es, et exigeons un statut pour tou·s·tes ainsi que des conditions de travail et de vie stables, sécurisées et dignes. Alors que nous subissons une crise du logement, des bourses et des salaires profondément insuffisants face à l’augmentation du coût de la vie et une détérioration générale des conditions sociales et économiques, nous rejetons les tentatives des gouvernements fédéral et provinciaux de faire des travailleur·euses migrant·es et des étudiant·es internationaux·ales des boucs émissaires pour ces problèmes. Nous savons très bien que ces difficultés économiques ne résultent pas de l’immigration, mais plutôt du sous-financement systématique, de la négligence délibérée et de la privatisation des services publics — orchestrés par la même classe politique qui tente aujourd’hui de blâmer les migrant·es pour ses propres échecs. De plus, en tant qu’anticapitalistes et anti-impérialistes, nous reconnaissons que nous ne pourrions contrer ces injustices qu’en luttant pour un changement du système politique et en construisant une puissance collective là où nous sommes — dans nos laboratoires, nos lieux de travail, nos syndicats et sur les piquets de grève.

Pour en lire plus :

Rapport du Sénat sur les conditions des étudiant·e·s internationaux·ales (Senate Report on International Student Conditions)

L’état de l’éducation postsecondaire au Canada 2024 (The State of Postsecondary Education in Canada 2024)

Références :

* Un revenu T4 correspond à toute rémunération versée par un employeur à un employé au cours d’une année civile, à l’exclusion des bourses et des subventions. Le pourcentage d’étudiant·e·s internationaux·ales de niveau postsecondaire recevant des feuillets T4 est passé de 17,6 % en 2000 à 46,6 % en 2018.

**Pour plus d’informations :
Les dessous obscurs de l’éducation internationale (The Shadowy Business of International Education)

Les étudiantes internationales : le rapport sur une main-d’œuvre invisible.(Women International Students: The Invisible Workforce Project Report)

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